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Métiers revisités


 

Au noviciat, j’ai eu le malheur d’évoquer, parmi les habitudes alimentaires
françaises, celle de faire griller la viande. Ils ont voulu goûter. La boucherie en plein
air que j’ai découverte en allant acheter la viande pour ce barbecue improbable
aurait fait bondir mon grand-père boucher. Ce métier est manifestement mal vu dans
un pays où la vache est sacrée et la majorité de la population végétarienne.

 

 


Autre surprise au détour des rues, au bord des routes : les femmes travaillent dans la
maçonnerie et les travaux publics. Et elles ne font pas que porter l’eau ! En essayant de
voler quelques photos de ce spectacle inédit pour un européen, je me suis fait repérer.
Mais elles n’ont pas hésiter à poser fièrement.

 

 

Voila un bon moyen de résoudre chez nous, à la fois le chômage des femmes et le manque
de main d'oeuvre dans le bâtiment !

 

 

 

 

 

 

Ça donne de beaux gabaris et sans doute aussi des femmes de têtes...

 

 

Le chant des signes


  A côté de l'envahissante publicité (il ne sont malheureusement pas limités par
des lois sur les dimensions des panneaux, eux), le pays tamoul est truffé de signes.
Au premier chef, les signes de bienvenue, tracés sur le seuil des maisons à la
poudre de riz et autres couleurs naturelles utilisées aussi pour les fêtes rituelles
hindoues. Ces sortes de mandalas sont si beaux qu'on hésite à rentrer en marchant
dessus !
 

 

 

 

 

Au détour des rues, il y a les gueules de monstres, placardées sur les
chantiers pour attirer l'attention et par là-même éloigner le mauvais oeil. Le principe
est d'éviter de provoquer l'envie – forcément maléfique - du passant lorsque l'on
construit ou retape un bâtiment. C'est un vrai concours d'épouvantails et de portraits.

 

 

 

 

 

 


Il y a toutes sortes d'autres signes, depuis les plus symboliques jusqu'aux plus
triviaux. Ainsi, le rouet sur la façade du mausolée qui est consacré à Gandhi, sur le
promontoire de Kanyakumari, résume puissamment la lutte de ce petit bonhomme
pour l'indépendance de son pays et la forme de simplicité volontaire qu'il défendait.

 



 

 

 

Ca plane pour nous !

 

 

 

 

 

La peinture murale représentant des enfants assis sur un crayon se retrouve
sur les murs des écoles, encourageant l'éducation (« Mouvement pour l'éducation de
tous » avec pour sous-titre : « Eduquons tout le monde toujours plus haut »). Je
confirme que dans ce secteur, comme le souligne symboliquement ce dessin, les
filles sont devant les garçons ! Dans les rues, on rencontre ces animaux
sympathiques (singes, lapins, souris) invitant à l'utilisation des poubelles qu'ils
portent pour les déchets ordinaires. Ils ont du boulot pour convaincre plus que pour
porter !
Enfin, il y a tous ces signes issus de la tradition védique et qui participent
comme ils peuvent, peints sur les maisons, tissés en motifs décoratifs ou collés aux
véhicules de toutes sortes, à la protection maternelle et infantile, à l'assistance
sociale et à la prévention des accidents. La fameuse croix gammée, par exemple,
porte-bonheur aryen, provoque toujours un choc quand je la vois (c'est plutôt un
signe « porte-malheur » pour moi), que ce soit sur l'arrière d'une voiture, sur un lintau
de porte ou stylisée au milieu d'une grille de protection de fenêtre.
Cela me conduit naturellement à parler de la religion dans le contexte tamoul.
Ce sera ma conclusion.


De quoi y perdre son latin


A Anjali Ashram, l'ashram chrétien de Mysore, au Karnataka, où j'ai passé
cinq jours bénis, le maître des lieux, le père Louis, m'a fait comprendre la foi
populaire d'une nouvelle manière, à partir du concept indien de bhakti. Il s'agit, dans
la pensée sanskrite, de la dimension dévotionelle de toute doctrine qui comporte par
ailleurs une dimension intellectuelle, la gnana marga et une dimension éthique, la
karma marga. J'ai passé du temps ensuite dans un temple de Chennai (Madras), un
vieux temple tamoul plein d'encens, de lumignons et de statues beurrées, assis près
du sanctuaire, pour tenter de percer le mystère du comportement dévot très répandu
au Tamil Nadu. Il s'agit en fait, tout simplement, d'une totale remise de soi entre les
mains de la divinité, expression par excellence de la foi que l'on dit parfois, avec une
pointe de mépris, « populaire », chez nous. Yeux fermés, la représentation ne
compte plus, formes et couleurs, si étranges à nos yeux occidentaux, si « kitsch »,
ont disparus. Tout est dans l'acte, dans cet abandon de soi dans l'autre qui est
l'indice de l'amour et dont seuls les simples sont capables. L'abolition de toute
distance, c'est-à-dire de toute critique, telle que notre tradition philosophique l'entend
depuis ses débuts, conduit à une sorte de fusion mystique intense et brève où
l'extérieur disparaît ; plus rien ne compte que ces deux mains jointes couvertes des
mains de Dieu, plongées dans sa miséricorde et son infinie bonté.
Telle faiblesse est la marque de la foi, le socle d'innocence pour tout combat à
venir, toute résistance de la vie face à la misère, l'adversité, la mort. C'est la
faiblesse de l'amour capable de déplacer les montagnes et de ressuciter les morts.

 

 

 

 

 

 

Pour n'être pas opium, il lui faudra l'aide de gnana (la sagesse) et de karma
(l'action). Ces trois voies de la réalisation de l'être humain se complètent et leur
existence conjointe selon les charismes des personnes, assure la prospérité d'une
communauté. L'Inde y trouve sans doute une grande partie de sa force morale.

Ici se termine, cinq semaines après mon retour, la série des chroniques
tamoules. Désolé pour les bouchons internet qu'elles ont provoqués, surtout au
début. Merci à ceux et celles qui m'ont encouragé à les écrire. Il y a bien des aspects
que l'on pourrait qualifier de négatifs dans ce pays : la prégnace invisible du système
des castes dans les rapports sociaux, la misère extrême et une forme de résignation
face à elle, une violence latente dans la société, sous des dehors plutôt bon enfant,
mais que l'on voit poindre dans les films grand public. J'espère surtout que ces petits
récits de voyage vous ont donné envie sinon de vous rendre au Tamil Nadu et de
rencontrer son peuple, au moins d'entreprendre, si vous ne l'avez pas déjà fait, un
autre voyage, plus intérieur, qui n'a pas besoin d'avion, d'appareil photo, ni de
sandales. Juste des frères et soeurs, et une soif pour la vie véritable.
Pascal.

 

 

 

 

 

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